INTRODUCTION
DU CHEF DU SERVICE HISTORIQUE DE LA MARINE
Lorsque Monsieur Hervé Guichoux m'a fait
part de son projet d'entreprendre la rédaction de l'histoire des constructions
navales à Bordeaux en s'appuyant pour une grande part sur les archives de la
Marine, je l'ai rapidement assuré du soutien du Service historique de la
Marine.
En effet aucun
travail de synthèse sur la naissance, l'organisation, l'essor et la disparition
de l'industrie de la construction navale bordelaise n'a jamais été réalisé. Il
m'a donc paru particulièrement intéressant de tenter de combler cette lacune et
aussi de voir l'étude menée à bien par un historien de qualité particulièrement
qualifié pour cette tâche.
Cette histoire de
la construction navale, reflet de la prospérité de la ville de Bordeaux et de
sa région retrace trois siècles d'événements parfois heureux, parfois
douloureux. Et pour qui veut bien être attentif de nombreux signes de mémoire sont
encore visibles dans les murs de Bordeaux et de Lormont.
Hésitante dans
la première moitié du XVIII° siècle, la construction navale bordelaise prend
son essor sur les deux rives de la Gironde car elle est stimulée par les
besoins de la marine royale. Après un ralentissement pendant la Révolution et
l'Empire, le baron bordelais Portal est chargé par le roi Louis XVIII de
réorganiser la marine et ses arsenaux. La marine constatant son retard
technologique dû à vingt cinq ans de guerre rattrape avec vigueur le temps
perdu. La mécanisation apparaît et se développe dans les arsenaux. Bordeaux
n'est pas en reste et adopte les nouvelles techniques de construction pour
relancer ses activités portuaires. Au XX° siècle, les sociétés Dyle et Bacalan
et les Ateliers et Chantiers de la Gironde maintiennent jusqu'en 1985 cette
activité de pointe. Au cours de ce siècle, 127 navires de combat seront livrés
à la Marine nationale.
Reflet des
rapports entre les activités économiques et humaines, ce cédérom permet de
saisir dans ses continuités et ses ruptures l'histoire de la ville et de sa
région.
L'ouvrage d'Hervé Guichoux est un ouvrage de référence qu'on ouvrira avec
profit et aussi avec plaisir tant le bonheur de plume de l'auteur et
l'excellence de son iconographie sont grands.
Contre-amiral Alain Bellot
Chef du Service historique de la Marine
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Pour visionner quelques images du port de Bordeaux au cours des siècles
Cliquez ICI
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Les Constructions navales à Bordeaux
Jusqu’au début du XVIIIème
siècle, l’industrie de la construction navale est peu importante à Bordeaux,
sauf pour des embarcations de faible
tonnage destinées à la navigation fluviale. Pour des problèmes de coût
notamment liés à la cherté et la rareté des bois, les négociants préfèrent
acheter leurs navires de haute mer dans d’autres ports de France, le plus
souvent en Angleterre et en Hollande. C’est seulement après la décision des
jurats de la ville d’accorder en 1699, l’autorisation d’installer des chantiers
dans le secteur de Sainte-Croix et de Paludate, que des constructeurs
s’implantent progressivement sur les bords du fleuve.
Toutefois, ce n’est qu’à partir de la moitié du XVIIIème
siècle, période de prospérité commerciale pour le Royaume, que la construction
navale locale prend réellement son essor non seulement sur la rive gauche, mais
aussi sur la rive droite où certains constructeurs s’installent à Lormont dès 1760. A Bordeaux, c’est de
chaque coté des Chantiers du Roi créés vers 1750 dans le secteur de
Sainte-Croix, face à l’hôpital de la Manufacture, (emplacement occupé de nos
jours par le « château Descas »),
que les constructeurs exercent leurs activités de chantiers et de
radoub.

L'hôpital de la Manufacture au bord de la Garonne - Lithographie de Légé d'après Sewrin (vers 1830)
Devant sur les berges, les Chantiers du Roi avec leur enceinte et porte monumentale
(Archives municipales de Bordeaux - IV - P - 2)
Les besoins de la marine royale à cette époque en pleine expansion, amènent
les Chantiers du Roi à construire entre autres, des vaisseaux de 56 canons,
mais aussi des frégates (parmi lesquelles la première « Belle
Poule » qui sera lancée sur la Garonne en novembre 1765 et dont le
fameux combat contre les Anglais le 17 juin 1778, sera le premier engagement
naval de la France dans la guerre d’Amérique.)
L’activité de construction de
navires de types différents demeure soutenue pendant toute la seconde moitié du
XVIIIème siècle, hormis cependant la période révolutionnaire. De
nombreux bâtiments du commerce bordelais sont armés pour la course et
quelques-uns uns d’entre eux
s’illustrent comme corsaires sur plusieurs
mers du globe. La construction navale et toutes les activités annexes qui
en découlent occupent alors une place importante parmi les animations portuaires.
En 1789, Bordeaux compte de dix à quinze chantiers privés d’où sortent
annuellement vingt à trente navires et qui emploient de mille à douze cents
ouvriers. Après un coup d’arrêt de la construction marqué par la Révolution,
dès la chute de l’Empire, c’est une personnalité bordelaise, le baron Portal,
qui est chargé par le roi Louis XVIII, du ministère de la Marine et de la
réorganisation de la flotte.
Dans la
première moitié du XIXème siècle, une nouvelle ère s’ouvre pour la
construction navale avec l’apparition de la vapeur d’abord, puis de l’hélice
ensuite, utilisées pour la propulsion des navires. Le premier navire à vapeur
commercial français nommé « La Garonne » est construit par
M.M. Chaigneau et Bichon et lancé à
Lormont en 1816. Ensuite, nombre de bâtiments à vapeur sont lancés par les
chantiers locaux pour sillonner le fleuve et les mers, cohabitant longtemps
avec les bâtiments traditionnels à voiles.

Maquette de "La Garonne" - Photographie de l'auteur au Musée du Vieux-Lormont
En
1822/1823, un événement majeur dans la
vie bordelaise bouleverse une tradition établie depuis plusieurs décennies. En
effet, la réalisation du Pont de Pierre conçu par l’ingénieur Deschamps
apportant enfin à Bordeaux son premier moyen fixe de franchissement du fleuve,
fait éclater définitivement de nombreuses activités portuaires, dont notamment
celle des chantiers de construction et
de réparation navale. Désormais, c’est
en aval de l’infranchissable obstacle constitué par le pont, que vont se
regrouper et se développer les activités des constructeurs de navires. Malgré
tout, plusieurs navires sont encore lancés dans le secteur de Sainte-Croix
jusque vers 1868 environ, dont les fameux clippers assurant la ligne du Brésil,
orgueil de la construction navale bordelaise.

Vieille gravure de Bordeaux en 1830 avec le Pont de Pierre - Sans référence d'auteur -
Collection particulière
Vers la fin des
années 1860, trois centres de construction navale existent à Bordeaux, dont
deux d’entre eux vont connaître un développement régulier et important en fin
du XIXème et au XXème
siècle:
- 1 - D'abord, dans le quartier de Bacalan, où dès les
années 1850, le constructeur Arman jusqu'alors implanté
quai Sainte-Croix, procède à l'acquisition de vastes
terrains d'environ 30.000m² de surface sur lesquels existent ou
sont sont édifiés près de 17.000m²
d'ateliers. Parmi ceux-ci, certains proviennent de la
Société des Ateliers Bordelais créés en
1854 par M. Maldant, constructeur de chaudières et de pompes
à feu. Tous ces locaux industriels disposent de
l'équipement nécessaire pour la construction de navires
en bois et en fer, technique nouvelle pour laquelle Lucien Arman,
titulaire d'un brevet d'invention, reçoit la Grande
Médaille d'Honneur de l'Exposition Universelle de 1855. Ces
nouvelles installations de la rive gauche pouvant recevoir plusieurs
cales de construction, prennent le nom de "Chantiers de
l'Océan", implantés de chaque côté du
passage de Lormont, ils emploient alors jusqu'à 3000 ouvriers.
Il y a également sur les bords du fleuve les petits chantiers
couverts de Coffre et Charron travaillant pour la pêche et la
plaisance, les cales à découvert de Durandeau et Germain
qui construisent des embarcations et enfin, l'ancien chantier Chaigneau
servant surtout pour les réparations.
- 2 - A Lormont sur la rive droite, se trouvent les cinq
cales couvertes des Chantiers Chaigneau, leurs ateliers et leurs pontons. Les
chantiers Bichon (séparés de Chaigneau depuis 1852) disposant de deux cales
couvertes se trouvent à cette époque sur
la portion de territoire de la commune de Lormont récemment rattaché à Bordeaux
lors de l’annexion de 1865. En intégrant également La Bastide et une petite portion
de Floirac, la ville de Bordeaux prend ainsi pied sur la rive droite du fleuve
pour la première fois de son histoire. A Queyries, on trouve au bord du fleuve,
le chantier Raymond avec deux cales couvertes.
- 3 - A Bordeaux, sur les quais de Paludate et de
Sainte-Croix, les anciens Chantiers du Roi ne servent plus depuis longtemps,
que de dépôt de bois. Dans ce secteur jadis si prospère, ne restent encore en
activité, et encore pour peu d’années seulement, que les chantiers Arman avec
leurs sept cales couvertes, leurs ateliers et magasins; les chantiers Moulinié
et Labat avec leurs trois cales couvertes et enfin le petit chantier Cluzeau.

Les chantiers Arman à Sainte-Croix vers 1875
Photographie Terpereau - Cliché IV - E / II - Archives municipales de Bordeaux
Dans les
deux dernières décennies du XIX° siècle, après de nombreuses cessations
d’activité, il ne reste plus à Bordeaux
que deux sociétés importantes réellement adaptées pour la construction de bâtiments destinés à la Marine Nationale
ou à celle de commerce. Ces deux sociétés sont respectivement implantées de
chaque côté du fleuve, pratiquement en face l’une de l’autre.
Sur la rive gauche, après la faillite des Chantiers de l’Océan
intervenue en 1869, l’un des administrateurs M. Delahante reprend une partie
des installations et crée les Chantiers de Bacalan. En 1879, les chantiers
de Bacalan fusionnent avec les Ateliers de la Dyle installés en Belgique
et le nouvel ensemble constitue la Société Dyle et Bacalan disposant de deux pôles
d’activité, l’un à Bordeaux et l’autre en Belgique.
Les
chantiers navals bordelais Dyle et Bacalan, réalisent alors de nombreux navires
pour le commerce et la Marine nationale, navires toutefois limités dans leurs
dimensions et leur tonnage du fait que la rive gauche est relativement basse
par rapport à la courbe opposée du fleuve. Avant et après la première guerre
mondiale, quelques pétroliers et cargos sont construits ainsi que des patrouilleurs-dragueurs, torpilleurs et
contre torpilleurs. En 1930, Dyle et Bacalan
cède son activité de constructions navales aux Chantiers Maritimes du Sud-Ouest,
une nouvelle société est constituée prenant le nom de : Ateliers et
Chantiers Maritimes du Sud-Ouest et de Bacalan réunis.

Les chantiers Dyle et Bacalan (à gauche) et les chantiers maritimes du Sud-Ouest (à droite) en 1925
Photographie aérienne I.G.N Bordeaux : Fonds iconographiques de la Mémoire de Bordeaux
Cette
nouvelle entreprise qui emploie environ 1700 salariés, poursuit la construction
de navires, notamment pour répondre à des commandes de la Marine nationale. Un
pétrolier, trois torpilleurs et trois avisos coloniaux sortent des chantiers de
Bacalan dans les années 1930. Un dernier navire de guerre est lancé sur la rive
gauche, le 28 janvier 1936. La deuxième guerre mondiale et l’occupation mettant
un frein aux constructions navales, les Ateliers et Chantiers Maritimes du Sud-Ouest
et de Bacalan ne peuvent quant à eux reprendre leurs activités.
Sur la
rive droite à l’emplacement des chantiers Bichon, en 1882, la Société des
Ateliers et Chantiers de la Gironde est créée avec le soutien du puissant
groupe national Schneider. Cette entreprise
occupe alors la première place à Bordeaux dans le secteur de la
construction navale. Au fil des années de nombreux agrandissements et de
nombreuses transformations de ses
installations la place à un haut niveau de compétitivité. Les chantiers
de la Gironde qui emploient près de trois mille personnes à certaines époques,
construisent notamment entre 1882 et 1955, cent vingt six navires de guerre de
tous types pour la
Marine Nationale. Ces bâtiments vont du petit remorqueur
jusqu’au plus gros cuirassé de 25.500 tonnes, de plus quelques bâtiments sont
également réalisés pour des marines de guerre étrangères.

Photographie aérienne des chantiers de la Gironde en 1958 - Musée du Vieux Lormont
Parallèlement,
les chantiers de la Gironde
construisent pour les marines de
commerce françaises et étrangères, de nombreux
navires de toutes catégories et de tous tonnages : Paquebots,
cargos, pétroliers, minéraliers, transports divers, chalutiers de haute mer,
barges, etc. Toutefois, subissant comme d’autres entreprises françaises
appartenant à ce secteur d’activité, la grave crise traversée par la
construction navale, les derniers chantiers bordelais, malgré diverses
tentatives de diversification, doivent cesser toute activité en 1985.
Une grande page d'histoire du passé maritime et industriel bordelais venait de se fermer.
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De la Frégate La Belle
Poule à l'escorteur d'escadre Jauréguiberry... en passant
par le cinq mâts France II et le transport d'aviation Cdt-Teste
:
Article du Journal Sud Ouest du 21 octobre 2002 ( cliquez pour agrandir)

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Ce
cédérom réalisé par M. Hervé
GUICHOUX (Membre de la Société Française
d'Histoire Maritime et de l'Association des Ecrivains Bretons), ayant nécessité
plus de six années de recherches et de travaux, ne comporte pas moins de 6.000
écrans et environ 5.800 documents iconographiques (représentant l'équivalent de
huit volumes sur tirage papier). Par la diversité des sujets abordés, il
constitue une véritable encyclopédie traitant d'une grande page d'histoire pour
le moins méconnue car jamais écrite, du passé maritime, économique et
industriel de la capitale d'Aquitaine. Couronné par l'Académie Nationale des
Sciences, Belles-lettres et Arts de Bordeaux cet ouvrage numérique est préfacé
par M. Gérard d'Aboville, Président de la Fondation du Patrimoine maritime et
fluvial, membre de l'Académie de Marine, et fait l'objet d'une introduction de
l'amiral Bellot, Chef du Service historique de la Marine.
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