Quand Bordeaux envoyait des navires de guerre dans le monde
Hervé Guichoux ne cesse pas de nous surprendre dans son infatigable exploration du passé maritime bordelais et plus précisément de la grande construction navale qui fut l’un des grands moteurs industriels de Bordeaux et de sa région.
Dans ses précédentes productions, il nous avait déjà permis d’avoir accès à de riches fonds iconographiques et documentaires, souvent inédits ou très faiblement exploités, montrant notamment l’importance de la construction sur les rives de la Garonne de navires de guerre destinés à la Marine française, depuis l’Ancien Régime jusqu’aux années suivant la Seconde Guerre mondiale.
Avec sa nouvelle production présentant les navires de guerre étrangers construits à Bordeaux, essentiellement du milieu du XIXe à l’aube du XXe, c’est dans un aspect encore moins connu de l’histoire locale qu’il nous invite à nous plonger.
S’agit-il d’ailleurs d’une histoire locale, dans un port qui est encore à l’époque l’une des grandes entrées maritimes de la France et de l’Europe ?
Ce qui frappe en effet dans les images et les textes réunis ici, c’est que l’industrie navale militaire de Bordeaux, son « arsenal privé » comme le souligne le professeur Jean Dumas, s’inscrit en fait dans un grand cycle économique qui culmine dans les années 1880 et que Suzanne Berger, qui enseigne au MIT, appelle « notre première mondialisation ».
La Bulgarie, le Danmark, l’Egypte, l’Espagne, les Etats Confédérés d’Amérique, la Grèce, l’Italie, le Japon, Madagascar, la Prusse, la Russie… ont ainsi fait confiance aux patrons, aux ingénieurs et aux ouvriers bordelais, travaillant sur les trois grands sites dont on peut encore déchiffrer les traces – plus difficilement, il est vrai, pour Sainte-Croix – dans le tissu urbain de notre ville.
Regarder ces images, qui valent souvent autant par leur qualité esthétique que par leur signification documentaire, c’est accepter de rendre hommage à des industriels audacieux, montrant que l’histoire économique de Bordeaux, ce n’est pas seulement le négoce, pas plus que l’avenir du monde d’aujourd’hui, ce ne serait que la finance…
Devant nous revivent ainsi des figures remarquables d’entrepreneurs innovants, comme Lucien Arman et Daniel-Victor Merlet. Avec eux ressurgissent aussi des guerres et des batailles lointaines où s’illustrèrent « nos » navires et avec eux les gloires et les tragédies d’hommes vivant loin de notre rivière
Grâce à Hervé Guichoux, ce passé peut revivre en nous, s’adressant ainsi tout à la fois à notre intelligence et notre sensibilité.
Robert Pierron,
Conseiller technique au Conseil régional d’Aquitaine
Chercheur associé Céreq